Vapore Dei Sospiri.

Je m'appelle Giulietta, Libera, Simonetta, Soledad, Vassilisa, Charlotte, Harriet, Lucrezia, Jacqueline. J'ai eu bien des prénoms, bien des vies, bien des histoires, mais toujours le même visage et toujours la même silhouette fluette. A ma naissance, je figurais parmi les femmes les plus grandes de ma génération. Lorsqu'on dépassait le mètre 60 on faisait rapidement figure de géante. Il m'arrivait même de dépasser certains hommes. Ma mère s'en arrachait les cheveux. Comment une fille si grande allait-elle pouvoir attirer un mari ? C'était sa question récurrente. Moi je m'en foutais, mon cœur était déjà pris. Mon bien-aimé, mon amour, mon âme-sœur, mon Roméo. Il était bien plus grand que moi, ça aurait plu à ma mère. Ça lui aurait plu s'il n'avait pas été celui qu'il était : le rejeton d'une famille de crétins. Et en Italie, on plaisante pas vraiment avec ces choses-là. Ça peut vite virer au bain de sang. On appelle ça une vendetta. C'était en 1206. Oh ? J'ai oublié de le préciser ? Je m'appelle Giulietta et je suis née en 1191. Je ne suis pas un vampire, encore moins un highlander, je ne suis pas précisément immortelle non plus. Je suis juste une âme. Une âme voyageant à travers le temps et l'espace à la recherche de celui qu'on m'a arraché trop tôt, trop vite. Roméo.

Le soucis ? C'est que ma mémoire immortelle s'évanouie totalement dès ma nouvelle naissance, et tout le travail abattu dans ma précédente vie est réduit à néant. C'est frustrant, mais nécessaire. J'aurais l'air de quoi si à 6 ans j'annonçais à mon père que j'ai près de 800 ans ? Personne ne peut se permettre ce genre de choses, à moins d'être Suri Cruse, mais ça c'est une autre histoire. Alors à chaque naissance je suis comme une ardoise vierge et je ne connais rien de la quête qui m'attend. Je dois me laisser guider par mon intuition, et par le destin qui me donne, parfois, un coup de pouce. J'ai aussi des acolytes. Évidemment, il y a mon bien-aimé, qui me cherche aussi sans le savoir, mais il y a aussi d'autres âmes croisés lors de notre première incarnation et qui reviennent systématiquement dans chaque. Ça à l'air simple comme ça, mais croyez-moi, ça ne l'est pas. Je ne retrouve pas forcément mon amoureux dans chaque vie, et même, une fois, j'ai épousé une de ces âmes-témoins, tellement j'étais à l'ouest dans cette incarnation. J'avais le sentiment de le connaître depuis toujours, et pour cause : c'était mon frère. Dans cette incarnation-là il n'était qu'un simple commerçant sans lien de parenté avec moi, mais quand même, quand on l'a appris, ça nous a fait un choc. Parce qu'on finit toujours par l'apprendre, parce qu'avec le temps et l'âge, la mémoire nous revient sous forme de flash, de rêves.

Une autre fois j'ai même été internée par ma famille, les rêves m'avaient rendu folle à leurs yeux. Et honnêtement, aux miens aussi. Je n'avais pas retrouvé Roméo dans cette vie-là, je ne sais même pas s'il se trouvait dans le même pays que moi, et de toute manière j'ai passé la moitié de ma vie enfermée entre quatre murs et je suis morte jeune. Le destin sait se montrer cruel, et j'ai parfois l'impression qu'il ne souhaite nous réunir, au même titre que c'est lui qui nous a séparé la première fois. Et quand nous sommes ensemble, que mon cœur le reconnait indubitablement, la mort ne tarde jamais à frapper. C'est pour ça que je suis encore là, aujourd'hui, à l'aube du XXIème siècle, toujours mal à l'aise avec mon mètre 60 et mes tâches de rousseur. Aujourd'hui je suis petite pour ma génération. "Ma" génération. Suis-je en droit de parler ainsi ? Techniquement ma véritable génération est morte et enterrée depuis près de 8 siècles. Ironie du sort, nous voici à Vérone, terre où tout a commencé pour moi, et je m'appelle à nouveau Giulietta. Il ne s'agit que de mon deuxième prénom, mais les gens s'acharnent à m'appeler ainsi, peut être parce que je suis la descendante de... moi-même. Ouh freaky ! Quand j'aurais retrouvé ma mémoire intemporelle, je pense qu'une petite thérapie s'imposera. Mais avant ça, je dois me souvenir de Roméo, le retrouver, l'aimer comme il se doit, et... l'empêcher de mourir.

Ha ! Et avant de me traiter de folle et de me jeter vos souris à la tête, sachez que je ne suis pas seule. Nous sommes des dizaines d'âmes incapables de mourir et traversant les âges de cette manière. Des dizaines d'âmes à Vérone, dans cette vie, et combien d'autres encore ?

Vérone, mars 2011.
Giulietta Dal Cappelletti
âme encombrante de Tosca Dal Cappello

☞ le book ☞ scenarii ☞ présentation

Rejoignez-nous